Droit à la preuve en droit du travail : l’accueil conditionné de preuves illicites ?

La Cour de cassation a examiné deux affaires en assemblée plénière le 14 novembre 2023 et mises en délibéré au 22 décembre 2023. Dans les deux affaires examinées, les salariés avaient été licenciés pour faute grave. La Haute juridiction doit se pencher sur la question de la « valeur devant le juge civil d’une preuve obtenue de façon déloyale ». Ces affaires sont l’occasion d’évoquer à nouveau l’équilibre entre le droit à la preuve et le principe de loyauté de la preuve.

La Cour de cassation admet dorénavant que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.

Il en est ainsi notamment pour un employeur dans un procès en contestation par le salarié d’un licenciement pour faute grave.

En revanche, la Cour de cassation confirme que le licenciement disciplinaire du salarié ne peut pas être fondé sur une conversation privée par messagerie personnelle lorsqu’il n’y a aucun manquement du salarié à ses obligations professionnelles. Dans ce cas, la question de la preuve ne se pose pas.

Quelle est la particularité d’une affaire portée devant l’assemblée plénière ? 

L’assemblée plénière de la Cour de cassation est la formation de jugement la plus solennelle de la Haute juridiction. 

Elle peut être amenée à siéger lorsque l’affaire qui lui est soumise pose une question juridique de principe. 

Dans ce cas, elle est réunie sur décision du premier président, à la demande du président de la chambre devant laquelle a été porté le litige ou lorsque le procureur le requiert, avant l’ouverture des débats 

En revanche, l’assemblée plénière doit siéger lorsque, après cassation par l’une des six chambres, le tribunal ou la cour d’appel chargé de rejuger l’affaire rend une décision une nouvelle fois attaquée devant la Cour de cassation, sur la base des mêmes arguments juridiques que ceux avancés lors du premier pourvoi. 

Ces deux affaires posent une question de principe, interrogeant notamment l’équilibre entre le droit à la preuve et le principe de loyauté de la preuve, elles ont donc été renvoyées devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation, formation de jugement la plus solennelle au sein de laquelle toutes les chambres de la Cour sont représentées. Pour en savoir plus 

Source : courdecassation.fr ; article « audience filmée : valeur devant le juge civil d’une preuve obtenue de façon déloyale »

Source : courdecassation.fr ; article « les formations de jugement de la Cour de cassation »

La première affaire : l’utilisation par l’employeur d’un enregistrement sonore au cours d’un entretien 

 Dans la première affaire, un salarié a été licencié pour faute grave, l’employeur s’étant appuyé sur l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. C’est à l’employeur de justifier de la faute grave prétendument commise par le salarié. Ce dernier a contesté son licenciement. En matière de faute grave, la charge de la preuve repose sur l’employeur. 

La Cour d’appel a déclaré la preuve comme étant irrecevable, du fait que l’enregistrement ait été réalisé de façon clandestine, à l’insu du salarié.

Cependant, aucune autre preuve ne permettait de démontrer la faute commise par le salarié. La Cour d’appel a donc jugé le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation. 

La question qui se pose à la Cour de cassation est de savoir si un enregistrement sonore réalisé à l’insu d’un salarié qui fait état de propos ayant conduit à son licenciement constitue ou non une preuve valable devant un juge. 

  • La Cour de cassation admet désormais que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au jugedès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Toutefois, la prise en compte de ces preuves ne doit pas porter une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, égalité des armes etc.)
  • Cette solution constitue un revirement de jurisprudence. Elle s’inspire de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle répond à la nécessité de ne pas priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits, lorsque la seule preuve disponible pour lui suppose, pour son obtention, une atteinte aux droits de la partie adverse.

La deuxième affaire : l’utilisation par l’employeur de conversations Facebook

 Dans la seconde affaire, un salarié absent avait laissé son compte Facebook ouvert sur son poste de travail. L’intérimaire chargé de le remplacer a utilisé le poste de travail du salarié et a pris connaissance d’une conversation qui avait été tenue à son sujet. Le salarié y sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. La conversation a été transmise à leur employeur qui a licencié le salarié pour faute grave. 

Le salarié conteste son licenciement au motif que le juge ne pouvait pas tenir compte de ses conversations Facebook car leur utilisation remettait en cause le principe de loyauté de la preuve et portait atteinte au respect de la vie privée. 

La Cour d’appel a déclaré la preuve irrecevable, elle a donc été écartée des débats. Cependant là encore, comme aucune autre preuve ne permettait de démontrer la faute commise par le salarié, le licenciement a été jugé comme étant sans cause réelle et sérieuse. 

L’employeur a formé un pourvoi en cassation. 

La question qui se pose à la Cour de cassation est de savoir si un message électronique envoyé sur Facebook, à l’origine d’un licenciement, mais dont la production porte atteinte à la vie privée de son auteur, constitue une preuve valable devant un juge. 

En revanche, dans la deuxième affaire, la Cour de cassation considère que les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook.

En effet, il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles 

Le positionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de preuve en droit du travail 

 La Cour de cassation a consacré en 2011 un « droit à la preuve » afin de tenir compte des difficultés probatoires auxquelles peuvent être confrontés les justiciables. 

Toutefois la Cour de cassation a fixé des limites à ce principe en consacrant en 2011, par un arrêt d’assemblée plénière, un principe de loyauté dans l’administration de la preuve. De sorte que lorsqu’une preuve est obtenue de façon déloyale, c’est-à-dire recueillie à l’insu de la personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne peut pas tenir compte de la preuve avancée. 

Cependant la Cour de cassation est amenée à réinterroger cet équilibre, fixé en 2011. La question sous-jacente est notamment de savoir si la Cour de cassation doit renouveler sa jurisprudence en admettant, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme qu’une preuve obtenue de manière déloyale peut sous certaines conditions être soumise au juge. 

A ce titre nous vous invitons à consulter notre actualité « le droit à la preuve en matière prud’hommale », publiée en mai 2023, dans lequel nous étudions la jurisprudence de la Cour européenne des droit de l’Homme sur cette question et son application en droit interne. En voici un bref résumé. 

Se fondant notamment sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que le droit au procès équitable intègre l’obligation d’offrir à chaque partie la possibilité raisonnable de présenter sa cause y compris ses preuves dans des conditions qui ne le placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, cela constitue le droit à la preuve ainsi reconnu par la CEDH depuis une décision du 10 octobre 2006 (n°7508/02). 

Prenant acte de la jurisprudence de la CEDH, fondée sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation a reconnu que le droit à la preuve pouvait justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au regard du but poursuivi (cass. 1ère civ. 25 février 2016 ; cass.soc., 16 novembre 2017 n°15-17.163).

Dans trois arrêts du 8 mars 2023, la Cour de cassation confirme que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats et précise le régime applicable à la demande de communication de preuves illicites et à la production de preuves illicites par l’employeur au moyen de la vidéosurveillance rappelant les limites édictées antérieurement. 

La Cour de cassation, cette fois-ci réunie en assemblée plénière, se positionne, à nouveau sur l’équilibre entre droit à la preuve et loyauté de la preuve, la décision promet d’être intéressante … Elle examine ici les éléments de preuve pouvant être versés au débat dans le cadre d’un contentieux prud’hommal, dans le respect des droits du salarié notamment le respect de la vie personnelle de ce dernier. Vous pouvez  visionner l’audience publique de l’assemblée plénière précédant la phase de délibéré.  

En 2023, le droit à la preuve en droit du travail a été évoqué à plusieurs reprises, en mars 2023 la Cour de cassation a confirmé sa position sur l’évolution du droit à la preuve et l’accueil conditionné de preuves illicites. Ces questions sont fondamentales notamment en droit du travail lorsqu’un salarié est licencié afin que ce dernier puisse se constituer des preuves à la suite d’un licenciement abusif. 

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